Culture graphique

Graphique de la Rue

Quand on se promène dans les rues de Paris, on ne peut pas s’empêcher de se demander si les enseignes qui embellissent les devantures des magasins de la capitale sont la preuve évidente que les commerçants ont une certaine maîtrise de la typographie.
Pouvons-nous affirmer que les boulangers, les bouchers, les coiffeurs et les propriétaires de restaurants sont naturellement doués pour produire des enseignes aussi attractives ?
Ne rêvons pas ! En France, tout est politique même le signe vernaculaire le plus bénin qui soit.
Comme beaucoup d’autres expressions qui illustrent l’art de vivre à la française, il faut en chercher les raisons cachées : acquérir un avantage concurrentiel, explorer les débouchés du marché ou développer des innovations lucratives. J’aimerais démontrer ici que les lettres magnifiques qui ornent les façades de Paris, même les plus modestes, ont été conçues au départ à la gloire de la langue française.
C’est exactement ce que fait Louise Fili dans son dernier ouvrage GRAPHIQUE DE LA RUE, un livre qui analyse les enseignes de la capitale. Elle promeut inconsciemment un programme politique dont les origines remontent à la Renaissance, quand les rois de France ont voulu prouver au reste du monde que le français était plus sophistiqué que le latin, afin de minimiser le pouvoir des papes italiens.

La colonisation linguistique opérée par la France fut un vaste projet politique dont le but était d’endiguer le pouvoir du clergé parlant latin

L’auteure défend leur cause avec près de 500 photos d’enseignes urbaines et de publicité datant du XIXe siècle et de l’époque Art Déco dont beaucoup sont encore dans leur jus et fort bien préservées.
Au cours de ces 40 dernières années, Louise Fili a rassemblé un nombre impressionnant d’archives de devantures de boutiques, à égalité avec le travail d’Eugène Atget.
Lors de ses innombrables visites à Paris, elle a répertorié plus d’un millier d’enseignes, peintes, dorées à l’or fin, sculptées, incrustées, électrifiées, en céramique, gravées, dessinées au pochoir, moulées, ciselées. La plupart d’entre elles sont des références historiques d’une valeur inestimable, mises à part ses charmantes trouvailles du milieu du siècle : des enseignes publicitaires de salons de beauté sans prétention, de laveries ou encore de quincailleries.
La colonisation linguistique opérée par la France fut un vaste projet politique dont le but était d’endiguer le pouvoir du clergé parlant latin, mais aussi celui d’une aristocratie inquiète, et enfin celui des juridictions qui contrôlaient les provinces françaises dans lesquelles les différents dialectes étaient la norme. Paris fut le centre de cette offensive culturelle : le français à la parisienne étant la référence linguistique haut de gamme et l’enseigne parisienne l’un des outils de sa propagande visuelle.
Les origines italiennes de Louise Fili ne l’ont pourtant pas empêchée de saluer l’aboutissement typographique de ce combat politique entre Paris et Rome. Son livre est un geste galant, un hommage à l’esprit français.
Véronique Vienne 38972-Screen_Shot_2015-07-14_at_19.28.36 38972-Screen_Shot_2015-07-14_at_19.27.51 38972-Screen_Shot_2015-07-14_at_19.27.30 38972-Screen_Shot_2015-07-14_at_19.26.06 38972-Screen_Shot_2015-07-14_at_19.25.47 38972-Screen_Shot_2015-07-14_at_19.25.19
Véronique VIENNE, extrait du site http://www.designobserver.com
GRAPHIQUE DE LA RUE de Louise FILI est publié par Princeton Architectural Press

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