Culture graphique

Interview de Lucrezia Russo

Lucrezia Russo

Lucrezia Russo est graphiste indépendante depuis 17 ans, spécialisée dans les beaux livres. Elle enseigne au Paris College of Art et anime la formation Influences et tendances graphiques chez Pyramyd.
Vous venez d’animer un stage Influences et tendances graphiques chez Pyramyd, comment abordez-vous ce stage ?
Je trouve très intéressant de former dans le cadre de la formation continue car on a généralement un public qui est intéressé, qui participe et qui a envie d’apprendre. En même temps, ce sont aussi des personnes qui peuvent donner un retour. Il y a un véritable échange qui s’installe entre les stagiaires et le formateur et c’est ce qui m’intéresse dans l’enseignement. Je transmets mes connaissances à des adultes qui eux aussi, d’une certaine façon, me transmettent leur expérience et leurs connaissances sur le sujet. Ce n’est donc pas seulement un rapport intervenant-stagiaire comme il peut y avoir lorsque j’enseigne en premier cycle par exemple, mais aussi un dialogue entres professionnels qui échangent leurs points de vue.
Dans la formation Influences et tendances graphiques, qui est un sujet très large, on est obligé d’avoir un point de vue sur ce que l’on voit. Et forcément, on peut se retrouver face à des personnes qui vont être surprises par ce qu’on raconte, déçues aussi parfois, mais ce qui est enrichissant c’est la discussion qui nait de ces opinions différentes.
Vous vous appuyez sur des théoriciens ou des références particulières pour étayer ces points de vue ?
Malgré le fait que mon travail soit très porté sur le print — je fais beaucoup de livres — j’ai axé mes travaux de recherche ces dernières années autour de l’Open Source, le Do It Yourself et les Makers, toutes disciplines confondues, car ce sont des mouvements qui influencent beaucoup la communication. Pas uniquement dans le graphisme d’ailleurs mais aussi dans le design, l’architecture et tous les métiers de la création. Donc je pars plutôt de cette posture là. Je prends l’exemple du Design Génératif, pas pour apprendre à coder, mais parce que c’est un mouvement qui influence aujourd’hui le visuel et la perception qu’on a du visuel, dans la publicité, les affiches de théâtre et la communication institutionnelle. Les références sont de ce fait très croisées. Je passe de l’Open Source à des références plus classiques comme le design suisse car en réalité tout se rencontre. Je m’appuie également sur des références des années 50, des années 70, y compris lorsque je parle du Design Génératif. Il y a rarement une seule référence pour un sujet en particulier. Je travaille plutôt de manière à créer une transversalité. On peut analyser le design suisse et le retrouver dans le Flat Design aujourd’hui, ou détecter dans certains types de design contemporain des influences venues du mouvement punk des années 70…

La transversalité des disciplines est devenue fondamentale pour la pratique créative.

Vous parlez du design suisse comme d’une référence. Est-il possible aujourd’hui de définir un foyer de création qui se démarque en Europe ?
Je ne saurais pas dire s’il y a un foyer porteur. Je pense qu’il y a une influence qui vient des États-Unis, notamment pour tout ce qui concerne l’Open Source et le DIY mais qui s’est très bien intégrée en France. Ici la création est très liée à l’espace public, à l’utilisation de cet espace pour créer et communiquer. L’expérimentation  était déjà dans les gênes : le terrain était prêt à accueillir de nouvelles formes de créations basées sur ces concepts. L’urbanisme participatif, la réalité augmentée… vont contribuer à développer ces modes d’expression innovants.
De nombreux collectifs se forment autour de ces sujets et la transversalité des disciplines est devenue fondamentale pour la pratique créative. Cette  recherche de transdisciplinarité n’existait pas auparavant. Aujourd’hui les graphistes travaillent avec des développeurs, des architectes, des designers… à la fois sur la commande évidemment, mais aussi sur des projets réalisés dans une démarche artistique collaborative.
Dans une formation comme celle d’Influences et tendances graphiques, on pourrait parler de tout ! On doit donc forcément avoir un point de vue.

Vous avez des exemples dans ce domaine ?
Oui bien sûr ! J’ai trouvé le festival Capitaine futur l’année dernière à la Gaité Lyrique, très poétique. Fédérer des gens très portés sur le numérique et d’autres découvrant totalement cet univers a été une belle réussite. Ça m’a beaucoup marquée.
L’exposition Bill Viola l’année dernière au Grand Palais m’a également beaucoup touchée. Je crois que c’est la plus belle exposition que j’ai pu voir ces dernières années.
S’il y avait un seul message à retenir de votre formation, quel serait-il ?
Le plus important pour moi est qu’ils comprennent qu’ils doivent avoir un point de vue, un parti pris sur ce qu’ils regardent et ce qu’ils voient. Dans un stage comme Influences et tendances graphiques, on pourrait parler de tout ! Il faut donc se forger un point de vue.  J’ai un point de vue, je prends partie, mais ce n’est pas parce que je parle de ça qu’il n’y a que ça qui existe. Il faut apprendre à regarder. La curiosité est essentielle pour comprendre, par exemple, pourquoi le Design Génératif a une relation avec le print. Trop souvent, on ne voit pas les choses. Apprendre à regarder, à se créer des outils pour comprendre les visuels, à développer son sens critique, c’est le message que j’essaye de faire passer pendant mes formations.


Retrouvez l’ensemble du travail de Lucrezia Russo sur son site internet : www.lucreziarusso.com
— Image de couverture : image tirée du travail de recherche « The Strange Case« , de Lucrezia Russo.

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