Joris Bacquet est réalisateur indépendant de films. Formé aux Beaux-Arts de Nantes, puis à Supinfocom Valenciennes, il collabore aujourd’hui pour des marques telles qu‘Orange, Christian Dior, Azzaro…
Quel est votre parcours ? Quelles sont vos influences culturelles et artistiques ?
Mon attachement aux images date des images de format polaroïd que l’on recevait en bons points à l’école. Au collège, grâce à des professeurs-moteurs, j’ai découvert que l’art plastique ne se résumait pas à reproduire une photo de la meilleure des manières, mais plutôt d’imaginer comment jouer avec la toile en tant que support visuel pour déformer l’image et en donner une autre lecture… C’est aussi en participant à l’atelier vidéo du collège que j’ai découvert le montage vidéo. De cette époque, je retiens les influences du couple Vasuulka, Jan Svankmajer, Oskar Fischinger, de Bill Plympton… mais aussi de réalisateurs comme Terry Gilliam, Scorsese, et surtout Stanley Kubrick. J’ai suivi la filière Arts plastiques qui m’a permis de découvrir l’histoire de l’Art de manière générale. J’ai pris conscience des passerelles possibles entre les différents supports visuels. Parallèlement, j’ai découvert la culture Hip Hop et plus spécifiquement le graffiti, dont j’aime le côté « recherche » dans les croquis, les graffs, la forme, dans le design de la lettre, dans la cohérence des différentes lettres ; tous ces petits riens de la préparation avant d’aller tagger. En gros, ce qui ne se voit pas lors d’un tag ou d’un graff finalisé. Ensuite, j’ai fait les Beaux-Arts de Nantes, puis j’ai intégré Supinfocom à Valenciennes, dans la section animation 3D. J’y ai appris la 3D, le découpage filmique, l’animation, la rigueur technique et un métier qui était en quelque sorte la synthèse de tout ce qui m’avait construit jusqu’alors. J’y ai coréalisé un film d’animation 3D avec Simon Moreau (devenu depuis illustrateur) et Bastien Dubois (nominé aux Oscars pour le meilleur court métrage entre autres). J’ai donc débuté ma carrière en tant que graphiste 3D travaillant pour de grosses sociétés comme Buf, Mikros Image. J’ai ensuite intégré une société de production d’habillage TV où j’ai compris ce qu’était la relation client » et intégré le fait de répondre à une demande précise tout en étant force de proposition créative. C’est ainsi que je suis devenu directeur artistique-créatif et réalisateur sur des formats très courts, pour de génériques d’émissions TV, par exemple. J’y ai appris l’efficacité d’une idée simple, une esthétique épurée pour ne pas parasiter le discours et le sens du projet. Ayant fait pas mal d’habillage TV et étant un peu épuisé par cette mécanique, j’ai décidé que je devais tenter l’aventure en solo, je suis donc devenu directeur artistique et réalisateur en freelance. Avec le temps, le réseau professionnel s’est étoffé et des personnes comme Florence Moll, m’ont fait confiance, me donnant accès à des projets de plus grande ampleur et créativement excitants. J’ai travaillé notamment pour des marques comme Dior, Samsung, Azzaro, Orange, Peugeot pour en citer quelques-unes.
Vous considérez-vous comme un graphiste, un designer ou plutôt un réalisateur ?
Honnêtement, je ne sais pas vraiment définir ma « position ». Je suis un mélange de tout ça, sans vouloir être gourmand. J’aime sur mes projets, définir les choses avoir une vision globale de l’image et cela, selon moi, passe par le fait de comprendre les différentes facettes de la création et d’intervenir avec mes moyens et capacités techniques. Donc parfois, cela passe par de la direction artistique, de la réalisation, du graphisme, du design bien que ce dernier est vraiment un métier auquel je ne touche pas vraiment, je donne en quelque sorte l’impulsion et la direction, mais je suis rarement amené à designer des objets moi même par exemple.
Vous avez récemment mis en ligne votre nouveau site. Comment avez-vous pensé et conçu sa refonte ?
Je souhaitais un site minimaliste, « graphiquement » pur. Le fond noir, en l’occurrence ici, quasiment noir à 100%, est pour moi gage d’épure. Il ne vient pas perturber la lisibilité des éléments en premier plan et met en avant les différentes images : le moins de tergiversation possible pour arriver aux images, qu’elles soient en mouvement, ou fixes. Merci à André Cheval qui m’a aidé sur ce projet.
Quelle est votre conception de la communication visuelle ?
Je n’ai pas de conception précise de la communication visuelle. Selon moi, tout peut être considéré comme de la communication visuelle, tant que l’idée première est bonne et que la mise en œuvre a un intérêt, c’est bon pour moi.
Vous intervenez sur des projets très variés, quel est le fil conducteur ?
Un fil conducteur est difficilement traçable sur tous mes projets en raison des formats et publics divers (publicité-tv, support sur Internet, campagne de presse, court-métrage). S’il y a quelque chose de commun, c’est mon envie de force graphique, de pureté esthétique, sans pour autant détruire l’histoire. La difficulté réside dans le fait de ne pas tomber dans le « trop », qui vide de tout sens le projet et le réduit à un ensemble de « belles images » mises bout à bout. « Less is more » pourrait être mon adage, si je devais en choisir un.
Y’a t-il un mode opératoire propre à chaque type de projet ?
Chaque projet est différent, mais la conceptualisation se fait toujours plus ou moins de la même manière. En règle générale, cela débute par des croquis qui permettent de ne pas oublier l’essence de départ. Je reviens parfois dessus lors de la quasi finalisation pour ne pas oublier les fondations du film. Puis je passe à la mise en œuvre d’image avec des logiciels de retouches ou de 3D. J’ai besoin de fabriquer, même grossièrement, l’image que j’ai en tête, le cadrage, la lumière, la dynamique de l’image. Cette partie-là, qui correspond plus ou moins à un story-board, est très importante pour moi, car elle est la mise en images de ce qui se passe dans ma tête et transcrit visuellement aux équipes ce que j’ai à l’esprit. Cela sert de base à la discussion avec les différents corps de métier qui vont intervenir, qui vont faire que le projet va évoluer, s’améliorer, se décomposer pour revenir plus fort au final.
Comment abordez-vous un projet ?
Cela dépend vraiment de la demande. En règle générale, pour des projets commerciaux, cela passe par un premier rendez-vous avec le client pour définir les besoins et envies. Ensuite, les demandes font leurs chemins dans ma tête, je les interprète, les visualise. Bien avant d’être ne serait-ce qu’un gribouillis d’idée, il m’apparait sous forme d’images. Ca peut paraître prétentieux de dire ça mais c’est la réalité. Ensuite le « croquis/Gribouillis » apparait et devient une image « Styleframe » qui est là pour définir et mettre à plat l’esthétique globale et transmettre visuellement au client la formalisation de ma vision de leur projet. Bien sur, cela s’appuie également sur un discours et une démarche créative. Une image n’est rien d’autre que de l’association de couleurs, si elle est vide de sens. Ensuite, une fois actée, nous passons à la mise en œuvre de l’idée. Qu’elle soit filmée, modélisée en 3D, animée en animation traditionnelle, c’est la concrétisation de la première étape, la première validation. Puis, nous passons sur la partie post production, c’est à dire la finalisation de l’image. Nous débutons par un animatique 3D qui est la mise en rythme et qui définit les cadrages des différents plans du film. Une fois le montage et le rythme validé, les différents objets sont modélisés de manière précise pour devenir de « vrais « objets tangibles. Puis ces objets sont animés, habillés et mis en lumière. Une fois l’ambiance globale trouvée, nous passons au rendu des images 3D. Enfin, nous empilons toutes ces couches d’images et différentes données visuelles pour en faire l’image que vous verrez à la fin à la TV ou sur vos différents «devices» ou supports visuels.
Travaillez-vous avec d’autres graphistes, comment gérez-vous la collaboration sur un projet ?
Contrairement à une image ou un visuel, un film est rarement le travail d’une seule personne. Parfois l’idée fondatrice vient d’une agence de publicité et donc d’un directeur artistique, d’un concepteur-rédacteur et d’un directeur de création. L’agence fait appel à vous pour votre capacité à transcender ou emmener plus loin leur idée première. En fonction de la position que vous avez sur le projet, votre expertise peut intervenir sur seulement l’esthétique de l’image comme elle peut intervenir de manière un peu plus globale si vous êtes le réalisateur par exemple. Ensuite entrent en scène des directeurs de la photographie, des directeurs artistiques, des décorateurs, des stylistes, des maquilleurs, des graphistes 3D, des retoucheurs, des étalonneurs…Un film est un travail d’équipe qu’il soit filmé ou créé par ordinateur. Si vous souhaitez tout faire vous-même, selon moi, vous passez à côté du fait d’emmener plus loin votre projet. Mon rôle est également de ne pas oublier le sens imaginé pour le projet à l’origine, validé par le client.
Quelle est la fonction d’un réalisateur 3D, d’un DA pour une marque ?
Le réalisateur, qu’il soit 3D ou non, comme le DA est la personne qui met en forme l’image de la marque, le discours que la marque veut transmettre. Il synthétise, définit un champ visuel et narratif autrement dit, il développe un univers autour d’un produit ou un état d’esprit qui correspond aux valeurs de la marque.
Quel est votre rapport avec les technologies 3D et d’habillage que vous utilisez dans vos réalisations ? Ces technologies peuvent-elles encore évoluer ?
J’ai toujours considéré la 3D au même titre qu’un crayon, ou un pinceau. Ce n’est pas une fin en soi, mais un outil pour développer un langage visuel. Les possibilités qu’offrent les technologies sont infinies, nous n’en sommes qu’aux prémices. Ça avance tellement vite que je n’imagine même pas ce que nous pourrons faire dans 5 ans. Entre les nanotechnologies, la puissance des machines décuplées d’année en année et surtout la créativité des hommes, rien n’est impossible.
Comment vous formez-vous ?
Pour ne pas être dépassé, il faut essayer de tout capturer, tout embrasser.Ça avance tellement vite que la formation se fait vraiment au jour le jour. Le plus important selon moi n’est pas de vouloir tout connaître, car c’est impossible mais d’utiliser tous ces médias et de se nourrir de tout ça pour aller plus loin dans la créativité et sa mise en œuvre visuelle.
Comment imaginez-vous la transmission des savoirs fondamentaux dans votre métier ?
La technique ça s’acquière toujours. Nombre de tutoriaux, de formations diverses et variées existent sous forme physique ou non d’ailleurs. Mais la transmission, c’est ce qui prévaut toujours. La course à « toujours plus de technique » n’est pas la bonne attitude selon moi. Je me souviens à de nombreuses reprises en discutant avec des graphistes et autres directeurs artistiques plus expérimentés que moi, avoir été étonné que leurs travaux se basaient sur des données simples comme l’observation et la compréhension du monde qui nous entoure. La technique n’est là que pour concrétiser la créativité. Elle est nécessaire dans de nombreux cas, mais elle ne doit pas prévaloir sur la créativité. La technique pour la technique, ne m’intéresse pas. Bien que la 3D soit faite par ordinateur, il ne faut jamais oublier que celui qui en fait ce qu’il est, c’est l’homme.
Le réalisateur 3D peut-il encore garder son identité, en dépit des attentes « marketing » des commanditaires ?
La position que l’on a est un peu bipolaire à certains moments. Les marques vont chercher des réalisateurs pour une esthétique, un style, une vision mais en même temps, une fois le projet en train de se concrétiser nous demande de faire « à la manière de… ». Le problème qui se pose c’est une sorte de «pinterestisation» de la créativité. Nous sommes tellement noyés dans les images que celles qui sortent de la masse, deviennent étalon qualitatif ou esthétique de ce qui plait. Elles sont récupérées, remaniées, remâchées, triturées jusqu’ à être vide de sens et enfin jetées sur le pilori du « Has been » au bout de trois mois. Après il faut être réaliste aussi, nous sommes tous inspirés, même les plus grands le sont, mais ce n’est pas en copiant simplement quelque chose qui fonctionne que l’on a une identité propre. C’est assez paradoxal mais j’essaie de moins en moins de regarder ce qui se fait, pour ne pas reproduire simplement ce que je vois. J’essaie de moins en moins d’anticiper l’aspect marketing dans mes propositions créatives. Le marketing, je dois en tenir compte indirectement c’est sûr, mais il ne doit pas limiter la créativité, il ne doit pas devenir une contrainte.
Un coup de cœur pour un film récemment ? Que pensez-vous du Palmarès d’Annecy, votre sélection ?
Le dernier film qui m’a marqué malgré ces parallèles avec Tarkovski c’est The revenant d’Alejandro Gonzalez Inarritu.Les cadrages, la narration simple, le jeu d’acteur de Di Caprio.La façon dont on est collé aux acteurs avec cette optique grand angle. J’ai trouvé qu’il y avait de vrais partis pris dans ce film et c’est ça qui m’a plu. Après je ne suis pas forcément sensible à tout ce que le film met en image mais d’un côté esthétique, c’est une vraie proposition d’auteur. En ce qui concerne Annecy, j’ai hâte de voir le film La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit. J’avais énormément apprécié ses précédents courts métrages comme Le moine et le poisson. Une poésie, des cadrages soignés, un scénario simple qui nous emporte que demandez de mieux :) ?
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